Des petites bêtes qui ne nous veulent pas que du mal

La micro-biodiversité parasitaire de la faune sauvage française,
terre inconnue ?

À l’occasion du reportage d’une collaboration entre la recherche fondamentale en parasitologie (laboratoire de parasitologie du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris) et le terrain de la faune sauvage française (l’Hôpital pour la Faune Sauvage Garrigues Cévennes dans l’Hérault), discussion de l’importance des enjeux de connaissances compliquées à explorer, à croiser, développer et rendre explicites au plus grand nombre. Ainsi que des modalités pour avancer.

Partant d’un constat : au MNHN de Paris, haut lieu historique s’il en est de connaissances et de recherches, un pan complet de la recherche scientifique fondamentale y est dédié à la « Parasitologie Comparée et Modèles Expérimentaux », domaine mondialement reconnu, qui peine à acquérir des connaissances simples sur les parasites de la faune sauvage française.

Ce manque de croisement entre la faune sauvage et la recherche fondamentale française est réel et a de nombreuses explications :

- il n’y a en effet toujours pas beaucoup de croisement fonctionnel entre recherche fondamentale et terrain local, et plus encore sur le terrain de la faune sauvage française, faune qui intéresse la société d’abord lorsqu’elle pose des problèmes à la santé publique ou la santé animale (l’animal domestique, de rente ou de loisir cynégétique).
On le voit à l’œuvre dans notre profession vétérinaire sur les interfaces et les travaux développés entre faunes domestiques et sauvages sur des domaines bactériens (tuberculose, brucellose, Lyme…), viraux (rage, H5N1…), plus rarement parasitaires.

Ainsi une prise en charge par l’ONCFS, comme le réseau SAGIR, existe pourtant depuis 1952 avec comme objet de :

« Surveiller les maladies de la faune sauvage pour agir »

Le "SAGIR" est un réseau de surveillance épidémiologique des oiseaux et des mammifères sauvages terrestres en France. Cette surveillance, fondée sur un partenariat constant entre les Fédérations des chasseurs et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, s’exerce depuis 1955, s’est consolidée en 1972 et a pris la dimension actuelle en 1986 sous le nom de SAGIR.

Les objectifs du réseau SAGIR sont essentiellement de :

1- détecter précocement l’apparition de maladies nouvelles pour la faune sauvage ;

2- surveiller les effets aigus non intentionnels de l’utilisation agricole des produits phytopharmaceutiques sur les oiseaux et mammifères sauvages ;

3- caractériser dans le temps et dans l’espace les maladies des oiseaux et des mammifères sauvages à enjeu pour la santé des populations.

Mais il ne s’agit là pas de cette recherche fondamentale qui nous intéresse et qui continue au niveau mondial d’explorer le fait parasitaire, du microscopique aux métapopulations concernées. Cela, afin de décrire, de classifier et de comprendre les équilibres des populations entre le parasite et l’hôte… équilibres nécessairement durables pour les deux parties. Cette écologie parasitaire à mettre au travail au niveau de la faune sauvage française est intéressante à développer pour la recherche et la connaissance mais aussi pour la rendre explicite au plus grand nombre.

- Ce manque de croisement a aussi une histoire, une culture à chercher du côté des parasitologues aussi. Ces chercheurs en parasitologie ont travaillé au tout départ au chevet des grandes parasitoses humaines, comme le paludisme, la leishmaniose, la trypanosomiase… pour comprendre et trouver des remèdes urgents à des maladies souvent tropicales de « nos empires » coloniaux. Elle était appliquée au développement économique de l’époque et était particulièrement active. C’est la grande aventure des découvreurs, des pionniers de la parasitologie mondiale.

Cette recherche historique tropicale continue ici et là-bas, dans les pays dits « émergents » où chaque jour des hommes et des enfants meurent, quand ce n’est de faim, encore de paludisme, avec tout un volet de modèles expérimentaux (pour en comprendre les pathogénies, inventer des vaccins, chercher et tester de nouveaux médicaments). Un volet de description fondamentale se poursuit et une connaissance globale s’affirme et émerge vers ce qu’on nomme co-évolution, pour comprendre les divers rôles joués par les différentes briques de la diversité complexe du vivant, et dans ces cas, étudier l’évolution de l’hôte et de ses parasites au fil de temps historiques, préhistoriques, de la dérive des continents aux changements environnementaux qui accompagnent l’histoire de notre petite planète bleue.

La faune sauvage française n’était pas alors assez exotique…
Elle l’est devenue avec le temps et un nouveau regard posé autour de nous sur ce qu’on nomme la biodiversité et les écosystèmes complexes ; cela depuis à peine 30 ans .

- Enfin, l’autre point était qu’en France, la faune sauvage française (=les animaux sauvages) a été longtemps « rangée » comme :

- soit des animaux gibiers

- soit des animaux nuisibles à réguler ou gérer

- ou encore de la faune captive d’usage et de monstration -fauconniers et parcs zoologiques-

Ce n’est que très récemment qu’elle existe pour elle-même... et très récemment (40 ans) dans notre histoire qu’elle est protégée pour elle-même et que des centres de soins, de réhabilitation, des lieux d’accueil compétents (en soins, médecine et chirurgie) pour la FS existent… Peu de centres de soins en France ont intégré des équipes vétérinaires au quotidien dans la prise en charge et soins de cette FS, par chronique manque de crédit… l’animal sauvage ne payant pas (encore).
Deux seules entités affichent et développent le volet vétérinaire aujourd’hui : l’une, intégrée à l’École Nationale Vétérinaire de Nantes, montée au bout de 25 ans avec l’énergie du Pr M L’Hostis, l’autre depuis 2008, en évolution dans l’Hérault à Ganges, l’Hôpital Faune Sauvage Garrigues Cévennes.

Ceci peut expliquer cela et l’on peut constater simplement qu’aujourd’hui une terra incognita française reste à explorer sur les parasites microscopiques de notre FS autochtone et que c’est peut-être le moment de collaborer sur des protocoles non invasifs (ne tuant pas les exemplaires de la FS prélevés) dans un projet qui, pour qu’il soit durable, devra être partagé.

C’est le moment de chercher à travailler ensemble dans des intérêts communs :
-  celui des chercheurs, certes,
-  celui de la faune sauvage et « de ses gestionnaires », protecteurs, pour avoir un état des lieux de sa santé et connaître mieux des clés de sa conservation, de ses capacités d’adaptation dans un monde compliqué qui ne lui veut pas toujours du bien,
-  celui des vétérinaires de terrain pour acquérir de nouvelles compétences et contribuer à comprendre mieux aussi sur ce qui se passe entre santé et parasites, lien avec les autres animaux dont il est le « médecin » mais aussi le public pour l’initier à la compréhension complexe de la science de l’évolution.

C’est ce projet commun, cette aventure commune qui nous intéresse particulièrement à Ganges à développer à l’HFS, en l’ouvrant et le proposant aussi à la profession vétérinaire en contact avec la FS, jeunes ou moins jeunes qui voudraient participer.

Et l’agrandir d’autres entités internationales, car ni les parasites et moins encore la nature ne connaissent de frontières.

Les scientifiques le savent, on apprend tellement en croisant les idées et les cultures, en sortant de ses propres frontières mentales et techniques.


Et une fois ne serait pas coutume…
Loin de nous l’idée de faire peur sur des parasites supplémentaires microscopiques que la faune sauvage européenne hébergerait et dont il faudrait se prémunir…

Il s’agit bien plus d’en devenir curieux, d’appréhender, acquérir et partager une compréhension complexe de ce monde fantastique du parasitisme, avec comme idée princeps de faire aimer la vie dans tous ses états… et la micro-biodiversité au moins autant que la macro-biodiversité.

Et de se mettre au travail… en cette période d’incertitude(s) professionnelle(s), économique, période de grands et attendus changements, riche de rencontres magnifiques, on s’y met avec un très grand plaisir.